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Ma vie avant le déconfinement : Juvénal Thiare Abita, chirurgien et poète (16)

crédit photo: Estelle Portejoie

D’un côté le chirurgien digestif continue à accompagner bon nombre de ses patients souffrant d’obésité très fragilisés par la crise et il exhorte au strict respect de tous des gestes barrière lors du déconfinement. De l’autre, le poète s’interroge sur le rapport à l’autre, sur le lien entre liberté et responsabilité exacerbé pendant le confinement. Et les deux s’accordent à penser que la santé n’est pas qu’un corps sans maladie: “l’expression artistique de l’esprit en est un indissociable complément”.

« Dans une situation comme celle-là, notre premier réflexe en tant que soignant est de se rendre utile », pose Juvénal Thiare Abita, chirurgien digestif à la clinique Saint-Germain. C’est pourquoi il s’est inscrit dès le début de la crise sur la réserve sanitaire nationale ainsi qu’au centre Covid-19 des Trois provinces à Brive. “Mais les chirurgiens ne sont pas les premiers sollicités”, alors il peut tout entier se consacrer au suivi de ses patients.

« La continuité des soins est essentielle. En Afrique, Ebola a fait beaucoup de morts directs mais la peur des gens de continuer à se faire suivre pour d’autres maladies pendant l’épidémie est responsable de beaucoup d’autres décès indirects, par omission. Avec mes patients, poursuit-il, je me suis engagé sur un suivi à long terme, tout au long de leur vie. » Le Covid-19 n’y a rien changé. Le docteur les reçoit ponctuellement au cabinet lorsque l’examen physique est incontournable mais la plupart du temps, la consultation se fait en télémédecine. « C’est un excellent outil. Il nous a fallu une semaine pour nous organiser. Aujourd’hui, je pense l’intégrer à ma pratique. Cela ne remplacera pas les rendez-vous au cabinet, les deux seront complémentaires, mais cela me permettra de suivre plus de patients et plus régulièrement. »

Une régularité essentielle dès aujourd’hui. Sur le front du Covid-19, ses patients sont en première ligne. « Le virus peut toucher tout le monde mais les formes graves se développent principalement chez des personnes présentant certaines comorbidités qui sont des pathologies chroniques ; tel l’excès de poids qui entraîne du diabète, de l’hypertension artérielle et des pathologies cardiaques et respiratoires. »

Un autre risque majeur le préoccupe. « L’obésité est souvent associée à un important état de mal-être physique, psychique et social. Les personnes obèses souffrent souvent d’isolement social. » La situation présente vient aggraver cette solitude. “Aussi, notre accompagnement est-il important pour garder un lien humain et ne pas perdre de vue les objectifs thérapeutiques.»

La perspective du déconfinement inquiète aussi beaucoup le docteur. « J’ai le sentiment qu’il y a un malentendu quand j’entends parler les gens. Nous avons été confinés pour empêcher le virus de circuler, afin que les établissements de santé puissent être en mesure d’absorber en temps réel les cas graves. En aucun cas un traitement préventif ou curatif n’a encore été trouvé. Le virus n’est pas affaibli non plus. Au déconfinement, sa dynamique de circulation pourra menacer de reprendre. » Alors il n’a de cesse d’exhorter au respect scrupuleux de tous les gestes barrières une fois le confinement levé. « La Nouvelle-Aquitaine est une des régions les moins touchées par le virus et donc la moins immunisée ; le risque de rebond est donc fort », prévient-il en insistant sur la responsabilité de chacun: « Pendant le confinement, chacun est individuellement protégé par la rigueur collective; au déconfinement, la discipline individuelle devra protéger le collectif.” Dans tous les cas, la responsabilité de chacun est engagée envers la collectivité.

« C’est une période qui m’interroge beaucoup sur le rapport aux autres et sur le lien entre liberté et responsabilité », poursuit le chirurgien qui est aussi poète. Des réflexions qui ont nourri son prochain livre en cours d’écriture, troisième volet de la série « é-migré » entamée il y a 3 ans. Dans ce climat où règne le silence et où les sollicitations sensorielles diminuent, les mots lui sont venus sans qu’il ait eu besoin d’aller les chercher. Il aura aussi fait aboutir plusieurs autres textes et chansons dont une, en collaboration avec l’accordéoniste de jazz Sébastien Farge et le musicien Raphaël Moraine. « Avec le titre sans équivoque de “Brive Gaillards”, je voulais rendre hommage à la ville. C’est comme dans une histoire d’amour. On se rend encore mieux compte de l’importance de l’autre quand on en est privé. »

Très engagé dans la vie culturelle briviste aujourd’hui en suspens, le poète se veut pourtant optimiste et préfère parler de rendez-vous différés plutôt que manqués. « La vie réelle continue d’une certaine manière à travers les outils virtuels dont nous disposons aujourd’hui », relativise-t-il, ce qu’il nommait déjà dans le premier tome de sa série e-migré, le « virturéel ».

« On va se retrouver et renouer avec la culture. La santé ce n’est pas seulement être en vie sans maladie. Ce n’est pas que survivre. C’est vivre heureux entouré d’art et de poésie.» Une raison de plus de participer dès à présent au quatrième concours de poésie de l’association Ministère de la Poésie qu’il préside.

 

Jennifer BRESSAN

Jennifer BRESSAN

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