Aujourd’hui, la crise sanitaire sans précédent qui frappe le monde est notre présent, notre actualité. « Demain, elle sera notre histoire », pointe Pierre Moula, professeur d’histoire-géographie à Bossuet qui, comme tous ses collègues au temps du confinement, a dû adapter son enseignement pour assurer à ses élèves la continuité pédagogique.
« Au quotidien, le confinement est une grande frustration », pose en préambule Pierre Moula. « Nous faisons un métier de contacts et cette perte de présentiel est un peu contre-nature. » Les enseignants ont bien dû faire avec pour assurer la continuité pédagogique grâce aux moyens numériques et les contraintes technologiques qui vont avec. « On s’astreint le plus possible à être présents pour nos élèves aux horaires habituels. C’est une manière de garder un lien sanctuarisé avec eux. Le quotidien est perturbé mais pas complètement éteint, on maintient quelque chose. »
Et, note l’enseignant, dans ce fonctionnement à distance, « la différentiation sociale des élèves apparaît au grand jour ». Non pas que les écarts soient creusés, mais ils sont mis en évidence. « Il y a les élèves qui bénéficient d’un appui matériel, qui sont accompagnés et soutenus à la maison et ceux qui ne peuvent pas l’être. » Dans cette situation exceptionnelle, le professeur retrouve le paysage habituel de sa classe : « Les élèves studieux, le gros de la troupe et ceux qui ne jouent pas le jeu, qui sont partis dans le néant. Nous n’avons pas beaucoup de prise sur eux, même si les établissements essayent de rentrer en contact avec ces familles pour rééquilibrer les choses. » D’un autre côté, l’enseignant pointe aussi une relation nouvelle avec les élèves et les familles. « On reçoit des messages, ils sont reconnaissants du travail fourni. »
A la question de savoir si les livres d’histoire des élèves gardent la trace d’un confinement similaire à ce que nous vivons, l’enseignant est catégorique. « Notre génération n’a jamais été confrontée à quelque chose de cette ampleur. » Pour autant, note-t-il, « le mot confinement n’est pas complètement inconnu de nos élèves. » Les attentats, le terrorisme sont passés par là. « Ils ont déjà fait des exercices de confinement. C’est une génération qui sait qu’à un moment le mot confinement implique de pouvoir perdre sa liberté et souveraineté même si ce n’est que quelques minutes dans une salle pour se protéger d’une attaque terroriste. »
Du côté des programmes, les manuels des collégiens présentent la grande peste au Moyen-âge « mais elle n’est étudiée que du point de vue de ses conséquences sur la démographie et l’économie en Europe ». Puis il y a la grippe espagnole de 1918 mais « elle n’est pas un repère qu’ils doivent forcément avoir. Avec la pandémie actuelle, on peut penser que cette épidémie va à présent reprendre sa place dans les manuels d’histoire. »
Des manuels qui devraient intégrer la pandémie du Covid 19 d’ici 3, 4 ou 5 rentrées, jauge-t-il. « Cela dépendra de la force avec laquelle on voudra maintenir la population dans l’idée qu’une telle crise peut recommencer. » Pour autant, signale-t-il, « il faudra attendre une dizaine d’années pour que les intellectuels s’emparent de l’événement, le temps qu’ils puissent l’embrasser dans son ensemble ; et cela comprend l’origine, le séquentiel et les conséquences qu’on ignore encore aujourd’hui car nous sommes dedans, dans l’actualité. Là où l’histoire n’entre pas encore. »
Mais il serait pourtant utile et fondamental qu’elle rentre rapidement dans la cité. « C’est peut-être le moment de prendre conscience de l’importance de la connaissance historique, celle des individus mais aussi celle de nos groupes, ce que nous appelons nation ou humanité. » Et de conclure : « Utilisons ce temps-là du confinement pour comprendre que nous sommes une seule humanité, liée les uns aux autres. Le temps est peut-être venu d’une réflexion sur le nous. »