La foire du livre permet de vivre des moments forts et surtout contrastés, comme ce matin. A l’espace Gazeau on décernait ainsi, avec beaucoup d’émotion les prix des lecteurs de la Ville de Brive à Denis Labayle, et le prix de l’Académie Mallarmé à Jean-Max Tixier, alors que quelques mètres plus loin dans une ambiance plus mouvementée, la foule attendait les dédicaces de Jacques Chirac.
Si jamais le caractère généraliste de la foire du livre avait eu besoin d’être démontré, l’exemple était parfait. Brive est sans doute le seul endroit où deux événements aussi apparemment éloignés peuvent coexister. D’un côté Denis Labayle recevait des mains de Françoise Gautry, maire adjoint chargée de la culture, le prix des lecteurs de la ville de Brive pour son ouvrage Rouge majeur aux éditions Panama. Ce livre, qui évoque les derniers instants du peintre Nicolas de Staël avant son suicide, a été décerné par 38 lecteurs brivistes parmi une liste de 10 ouvrages. Son auteur n’a pas eu de chance pour ce 5e roman, l’éditeur qu’il venait de choisir a fait faillite un mois après sa sortie. D’où cette remarque de Denis Labayle: “merci à Brive d’être allé au-delà des contingences financières”.
Jean-Max Tixier n’a pas pu profiter de son prix Mallarmé décerné pour l’ensemble de son oeuvre. Il est mort peu de temps après avoir appris la nouvelle. “Quand il a eu le prix, il m’a dit “la boucle est bouclée”, déclarait ainsi son épouse Monique venu le recevoir à sa place. Cet homme discret qui a consacré 50 ans de sa vie et 70 ouvrages à la littérature, rappelait dans son dernier ouvrage Parabole des nuages paru aux éditions Tipaza, que “l’homme était essentiellement composé de nuages”.
D’autres nuées s’accumulaient un peu plus loin au stand occupé par Jacques Chirac venu signer le premier volume de ses mémoires Chaque pas doit être un but. Les premiers fans de l’ancien président étaient arrivés dès l’ouverture des portes pour avoir la meilleure place. Très rapidement la foule devait grossir, et la file d’attente s’agrandir. Dans une ambiance de concert, et devant une armée de journalistes, Jacques Chirac a fait son apparition, accompagné par son épouse Bernadette et sa fille Claude. En deux heures 1.500 ouvrages et le cordon de sécurité étaient épuisés.
De leurs côtés Philippe Nauche, le député-maire de Brive, et François Hollande, député de Tulle, président du Conseil général, et également auteur à la foire du livre où il dédicaçait dans l’aprés-midi son Droit d’inventaires, sont venus rendre visite à Jacques Chirac sur son stand. Les deux auteurs du jours ont échangé livres et dédicaces, avant que le président ne s’en aille rejoindre son véhicule. “Malgré les combats on a su se respecter, et nous voulions lui faire le meilleur accueil”, déclarait le député de Tulle aux journalistes qui n’ont pas pu savoir, malgré leur insistance, quel était le contenu des dédicaces. “Jacques Chirac m’a dit que la vie politique était une suite de petits pas. Il faut donc se méfier des hommes pressés”, concluait-il malicieusement.
Un peu plus tard, Frédéric Beigbeder transmettait le relais à la nouvelle présidente. Dans un espace Gazeau comble, et d’un coup de foulard symbolique, l’auteur d’Un roman français laissait à Laure Adler le soin de mener les débats. Ce qu’elle n’a pas manqué de faire en l’interrogeant immédiatement sur son dernier ouvrage couronné récemment par le Renaudot. Ces échanges ont permis de faire apparaître les contours d’une oeuvre plus grave qu’il n’y paraît. “C’est un roman sur l’amnésie . J’ai essayé d’écrire sur des souvenirs quand on en a plus”.
Dans cet oubli généralisé seuls surnagent un endroit et une date; Guéthary, 1972. “Guéthary parce que ce sont les plus beaux moments de mon enfance, et 1972 parce que c’est la date du divorce de mes parents. Il y a des tragédies bien pires, mais un divorce oblige à vous protéger. Ce livre est l’histoire d’un homme coupé en deux”. C’est aussi le récit d’une quête généalogique: “je n’avais pas mesuré le poids du passé dans mon quotidien. C’est mon premier livre là-dessus.”
Un roman français n’aurait jamais vu le jour sans cette garde à vue qui a servi de catalyseur et qui a permis également à l’auteur qui aujourd’hui “ne sniffe plus que de l’iode”, de poser quelques repères. “La garde à vue actuellement s’applique à un français sur cent. En France tout le monde trouve ça normal. Pas moi. Tout est fait pour mettre en place un climat de trouille”. Et Beigbeder de plaider pour un esprit de résistance: “faire un salon comme celui-ci à Brive, c’est de la résistance”.