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Le furet du bois joli est mort il y a 300 ans aujourd’hui

Hyacinthe Rigaud, Portrait du cardinal Guillaume Dubois (1723), Cleveland Museum of Art.

Non, vous l’aurez bien compris, il ne s’agit pas de célébrer l’anniversaire de la mort d’un gentil petit mammifère décédé il y a 300 ans mais plutôt de rendre hommage au Cardinal Dubois, Briviste, disparu lui, il y a bien 300 ans. Le 10 août 1723.

Rendu éternel par cette contrepèterie connue de tous « il court, il court le furet, le furet du bois joli… », dont nous nous garderons bien de révéler la solution, “Le furet du bois joli” fait bel et bien allusion au Cardinal Dubois et à sa vie soi-disant dissolue. Né à Brive le 6 septembre 1656, cet homme d’État a, malgré cette moquerie et l’image qu’elle a généré (pas forcément usurpée), régné en maître sur la France après le décès de Louis XIV lors de la Régence (1715-1723). Marguerite Guély, historienne et présidente de la société scientifique historique et archéologique de la Corrèze, nous éclaire sur ce Briviste trop méconnu.

Atelier de Hyacinthe Rigaud (Charles Sévin de La Penaye ?) – Portrait du cardinal Dubois.

 

Tout le monde connaît la rengaine, « Il court, il court le furet… » qui fait une allusion peu glorieuse au cardinal Dubois. Si dans l’imaginaire populaire ce Briviste n’a laissé que cette “chanson” dans l’Histoire – mais qui peut en dire autant ? Charlemagne ? – il a surtout été l’un des personnages les plus puissants de France et d’Europe pendant la Régence de Louis XV (1715-1723). Aujourd’hui nous célébrons les 300 ans de sa mort. Guillaume Dubois s’est éteint le 10 août 1723 à Versailles.

Un tube chanté depuis 1710

Né à Brive en 1656, fils de Jean Dubois, médecin, et de Marie de Joyet, Guillaume fait partie de la bourgeoisie briviste. Il entame ses études chez les Doctrinaires mais partira rapidement de Brive pour faire carrière à Paris. D’abord abbé puis archevêque et cardinal (1721), « alors qu’il ne sait pas célébrer une messe », persifflent ses détracteurs, mais à l’époque pour être cardinal il ne fallait pas forcément être une grenouille de bénitier, Guillaume Dubois devient, entre temps (1718), le principal ministre d’État sous la Régence après avoir été ambassadeur ou encore ministre des affaires étrangères de la France. Son pouvoir est immense, son influence tout autant. Ambitieux, décrié, jalousé, le cardinal Dubois a été l’un des personnages les plus importants de cette période. Il est alors l’équivalent du Premier ministre de notre Ve République. Fin diplomate, la politique menée par Dubois a toujours été saluée par les historiens. Qualifié de « génie politique de la Régence », titre de l’ouvrage d’Alexandre Dupilet (Paris, Tallandier, 2015, 416 p), il sera également élu à l’Académie Française en 1722. Il occupera le fauteuil 28. Pas n’importe qui ce cardinal.

Un génie politique

« Les puissants sont forcément soumis à la critique et au dénigrement », rappelle Marguerite Guély, la vie privée du cardinal Dubois sera moquée à travers cette chansonnette. « On a sans doute exagéré sa vie privée. Il était détesté », explique Marguerite Guély. Il n’empêche, depuis le début des années 1710 cette chanson a été chantée par toutes les petites têtes blondes françaises et leurs parents bien entendu. Un vrai tube.

Personnage truculent, il sera incarné au cinéma par le génial Jean Rochefort, dans le film non moins génial de Bertrand Tavernier Que la fête commence, sorti en 1974. Le Cardinal Dubois y est dépeint comme un homme sans scrupule, aux mœurs légères, tout puissant. « Ce film est un peu farfelu », tempère l’historienne.

Une vraie star notre cardinal Dubois ! Cependant à Brive, Guillaume Dubois est moins connu que Patrick Sébastien ou Amédée Domenech… Peu d’archives ont été conservées car beaucoup ont été détruites ou se sont volatilisées. Les Archives municipales possèdent cependant plusieurs volumes de mémoires apocryphes qui sont paraît-il « croustillantes ». Au musée Labenche, une section de la salle des Illustres est consacrée à la figure du cardinal Dubois, on y trouve quelques courriers signés de la main du cardinal mais surtout un portrait et un globe de dévotion privée représentant le sacre épiscopal de Guillaume Dubois le faisant archevêque et duc de Cambrai, prince du Saint-Empire. Rien que ça !

Le Cardinal Dubois, atelier d’Hyacinthe Rigaud, huile sur toile, 18e siècle. Musée Labenche. Photo S. Marchou.

Globe de dévotion privée représentant le sacre épiscopal de Guillaume Dubois (objet issu de la famille du Cardinal), datation supposée : 2e quart 18e – 1er quart 19e siècle. Musée Labenche. Photo S. Marchou.

Quant au souvenir collectif local, il s’est un peu perdu ou est à moitié exprimé.

Il y a par exemple des doutes sur l’emplacement de la maison familiale. Mais il semble que cela a été tranché. Rue des sœurs (aujourd’hui rue de la République) ? Rue Dubois, la bien nommée ? L’endroit le plus certain serait un bâtiment désormais disparu situé entre la place Saint-Pierre, derrière l’actuelle mairie, et la rue du Salan, derrière l’auditorium Francis Poulenc. Une anecdote permet d’en être quasiment sûr. « Lors de la nomination de Guillaume Dubois en tant que Premier ministre, les Brivistes ont souhaité rendre hommage à l’un des leurs en allumant des feux d’artifices à proximité de sa maison natale. Malheureusement, ces feux d’artifices se sont propagés sur le collège des Doctrinaires dont le cloché a pris feu ». La maison était donc certainement située vers là… mais il n’y a plus rien.

La maison natale de Guillamue Dubois devait se situer non loin de la place Saint-Pierre, probablement entre la rue du Salan et cette même place, le long de la rue Charles-Teyssier qui s’appelait autrefois la rue des Frères.

Si sa maison natale a disparu, quelques traces du cardinal Dubois subsistent dans la ville qui l’a vu naître sans qu’ à prime abord on s’en doute. Le pont Cardinal (sans Dubois ce qui pourrait laisser penser que cardinal est employé dans le sens littéraire “qui sert de pivot, de centre”), construit en 1734 à l’initiative de son frère pour rendre hommage à son cadet, la rue Dubois (sans cardinal) précitée, située entre la rue Gambetta et la rue Farro (mais d’ailleurs fait-elle référence à Guillaume ou à son frère Joseph qui a été maire de Brive ?), la rue du Chapeau-Rouge, à une encablure de là, est-elle une allusion à la coiffe des cardinaux et donc indirectement à Guillaume Dubois ? Selon un article de Pierre Pérol paru dans la revue de la société scientifique historique et archéologique de la Corrèze de 1956, le Chapeau Rouge aurait été en fait une auberge « et peut être bien une maison close… », ajoute Marguerite Guély. L’allusion est tout de même cocasse. Last but not least, la boîte de nuit Le Cardinal, haut lieu des nuits endiablées brivistes, et après ce que l’on vient de voir, ne peut que faire penser à Guillaume Dubois qui aimait bien s’encanailler.

A Brive en tout état de cause, Cardinal et Dubois sont rarement associés et du coup, on ne fait pas de suite le rapprochement. A une exception près cependant, le boulevard Cardinal-Dubois vers le pont du Buy, très court et délimité par deux maréchaux de France, Foch et Bugeaud. Il fallait bien deux militaires pour surveiller ce coquin de cardinal.

Bref, bien des choses ont été dites ou propagées sur le Cardinal mais comme le soulignait Pierre Pérol dans son article, sa vie privée fut « ni pire ni meilleure que celle de beaucoup de ses contemporains », surtout à la Cour du Roi, on l’imagine… Ce qu’il faut retenir c’est que Guillaume Dubois de Brive fut un très grand homme d’État.

Devenu extrêmement riche grâce en particulier aux revenus de sa paroisse, Guillaume Dubois n’est « a priori jamais revenu sur sa terre natale ». Pour rendre hommage à ce premier ministre briviste, il faut se rendre à Paris en l’église Saint-Roch, là où le cardinal Dubois est inhumé.

A Brive on attend une statue, on a déjà la chanson.

On vous laisse écouter ou réécouter cette comptine pas forcément pour enfants : ICI

Julien Allain, Photos : Fatima Kaabouch

Julien Allain, Photos : Fatima Kaabouch

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