Il fallait se lever tôt ce matin pour venir bloquer le dépôt d’essence de Brive à l’appel de l’intersyndicale CGT-FSU-Solidaires-FO-Sud-UNSA-CNT. Les premiers arrivés étaient devant les grilles à 5h du matin. Parmi les présents, un groupe de jeunes gens du plateau de Millevaches. En fin d’après-midi, 4 d’entre eux ont été interpellés. Retour sur une longue journée.
Un blocage, ça n’est généralement pas très intense. Sauf quand police et gendarmerie s’en mêlent. On y reviendra.
Toute la matinée, la centaine de manifestants bloquant l’entrée du dépôt pétrolier de Brive ont passé le temps en parlant de la grève, ou alors en improvisant des petites parties de football, histoire de se réchauffer un peu. Les représentants des syndicats discutent: “Ce mouvement va durer des semaines, voire des mois”, prédit Jean-Louis Puydebois de la FSU. “On est dans une guérilla pacifique et nous sommes soutenus par une large majorité des salariés, dont ceux qui n’ont pas la possibilité de faire grève.”
Pour Babette Cueiuille de la CGT, “il ne faut pas oublier que Sarkozy désorganise le pays bien plus que les grévistes. On sent de la détermination dans le combat, bien au delà de la question des retraites.”
Côté ambiance, rien à signaler jusqu’à la fin du pique-nique à deux pas de la grille à garder. Vers 15h, les syndicats se sont réunis pour discuter de la suite des événements. “Qui est volontaire pour bloquer cette nuit? Qui pour demain matin? Il en faudra aussi pour tracter devant les grandes surfaces en vue de la manif de jeudi” A ce moment de la journée, malgré la présence de gendarmes mobiles à quelques encablures, l’idée était bien de ne pas lâcher. “De toute façon, si les policiers nous délogent, on ira ailleurs. L’idée n’est pas d’en découdre. On a d’autres idées d’actions”, a expliqué Jean-Claude Ribert de la CGT de Brive.
Puis arrive l’événement de la journée. Tout a basculé en quelques minutes. C’est l’arrivée d’un train à proximité du dépôt de carburant qui a mis le feu aux poudres. Il est 15h30.
“Eh! C’est quoi ce train? Il vient réapprovisionner?” La confusion règne chez ceux qui observent le convoi ferroviaire, en l’occurrence les jeunes du “plateau insoumis”. En deux temps, trois mouvements, le groupe s’approche des grilles, à l’arrière des cuves, pour observer le train et les employés qui s’affairent. Poussés par un enthousiasme débordant, quatre personnes décident d’aller voir de plus près ce dont il s’agit. Ils passent par dessus une barrière et courent vers le train. Plus loin, ils ralentissent leur course et vont discuter avec les employés du dépôt. Rien de très spectaculaire jusque là.
Soudain, des cris d’autres gens du plateau restés de l’autre côté de la barrière: “Revenez! Revenez! Ils vont vous arrêter!” De l’autre côté du train, hors de la vue des manifestants et des employés du dépôt, viennent en effet de surgir des gendarmes mobiles lourdement équipés. Du “bon” côté du grillage, la police se déploie également. Les quatre sont piégés.
Peu décidés à se laisser interpeller, les intrus courent jusqu’à la grille par dessus laquelle ils avaient sauté. Leurs camarades de combat prennent place entre eux et les policiers. Ils ne résisteront pas longtemps. Mais, le temps que la police déloge les amis des quatre manifestants poursuivis, ceux-ci vont se faire la belle. Ils iront jusqu’à traverser le rond-point en courant en direction de l’aérodrome Brive-Laroche, mais seront vite rattrapés par les policiers et seront interpellés sans ménagement, l’un d’entre eux se faisant même menotter sur le capot d’une voiture passant par là, laissant la conductrice sans voix.
Nouvelle bousculade entre policiers et manifestants tentant d’empêcher le fourgon de police de partir avec les interpellés. Des cris, des larmes, mais pas de blessés. Et, après coup, de la colère chez les amis des interpellés. “On va rester, on veut continuer à bloquer.” Peu leur importe que d’autres forces de police aient profité de la course-poursuite pour prendre la place des bloqueurs, seulement 30 minutes après l’arrivée du fameux train. Ils sont bien décidés à rester sur place, pour pouvoir bloquer demain matin. Des syndicalistes les rejoindront avant 6h du matin.
Côté syndicats, l’intrusion de quatre personnes dans l’enceinte, évidemment protégée car potentiellement dangereuse, du dépôt pétrolier a été vécue un peu amèrement. “On était en place pour durer. Votre attitude a tout remis en question. Ce n’était pas grave que ce train soit là, ce n’est pas l’enjeu”, a lancé un adhérent CGT aux “insoumis” du plateau. “On voulait juste savoir ce que ce train faisait là. Les moyens déployés pour arrêter nos camarades sont disproportionnés, surtout qu’ils n’allaient pas saboter quoi que ce soit”, réplique une jeune femme.
Autre vision de la part du préfet Alain Zabulon, venu sur place: “Des individus irresponsables ont franchi l’enceinte pour aller perpétrer je ne sais quel mauvais coup. Ils ont été interpellés et mis en garde à vue. Ce train est venu approvisionner le dépôt de Brive car les Corréziens ont le droit d’avoir de l’essence. Nous allons sécuriser le site et il fonctionnera normalement.”
Demain est un autre jour. Difficile de savoir de quoi il sera fait.