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“Je suis le survivant d’un monde disparu à jamais”

Face à face entre Jacques Gruska à l'époque de la tragédie, et aujourd'hui où il raconte et souhaite transmettre pour lutter contre l'oubli

“Au moment de notre évasion, les soldats SS nous ont tiré dessus dans un feu continu. Par miracle, nous sommes arrivés à nous enfuir”, se remémore Jacques Gruska, octogénaire à l’allure et la mémoire encore vivaces. A l’époque des faits qu’il retrace, il avait 15 ans. Sous ses yeux, ses parents ont été emmenés par les soldats nazis dans un voyage sans retour. Son témoignage constitue le socle de l’exposition intitulée “Une famille dans la tourmente. De Strasbourg à Périgueux, 1939-1944”, inaugurée hier et en ce moment présentée au musée Edmond Michelet. Elle se poursuit jusqu’au 11 juin. Entrée libre.

Jacques Gruska“Après les événements, il ne nous restait plus qu’à essayer de nous reconstruire une existence”, confie Jacques Gruska, présent à l’occasion de l’inauguration de l’exposition intitulée “Une famille dans la tourmente. De Strasbourg à Périgueux, 1939-1944”, prêtée par les archives départementales de la Dordogne et accueillie au musée Michelet. Dès 1939, il a fait partie des dizaines de milliers de réfugiés, surnommés les “repliés” du Bas-Rhin à passer de Strasbourg à la Dordogne où ne vivait alors qu’une quinzaine de familles juives et qui devint véritable terre d’accueil ou de passage. “Mais ce refuge précaire se transforma en piège lorsque, après la défaite de 1940, la mise en œuvre de la politique antisémite du régime de Vichy va briser de nombreuses familles. A travers l’itinéraire de la famille Gruska déplacée, bannie puis décimée, c’est la tragédie vécue par les juifs au cours de la seconde guerre mondiale qui est représentée dans cette exposition“, rappelle Marie-Odile Sourzat, conseillère déléguée au développement culturel dans son discours inaugural.

Inauguration de l'exposition au musée Edmond Michelet“Mes parents sont arrivés en Allemagne dans les années 1920. Mon père était imprégné de l’affaire Dreyfus; c’était sa raison de vivre, c’est pour cela qu’il a choisi la France et ils ont opté pour l’Alsace à cause du dialecte franco-allemand qui y était pratiqué.” Et de poursuivre le fil de son souvenir: “Ce qui est incroyable, c’est que simultanément à notre invasion, une chaîne de solidarité dont je ne connaissais pas même les membres s’est manifestée. Il fallait sauver les Gruska”.

Expo musée Michelet famille Griska3“Durant 8 jours, des patrouilles étaient à notre recherche dans la ville. C’était une forme d’intimidation mais il faut dire qu’il était primordial pour eux de massacrer les jeunes pour les empêcher de raconter et transmettre aux prochaines générations ce qui se passait. Nous, nous sommes passés entre les mailles du filet et nous nous sommes par la suite impliqués dans la résistance. J’étais de mon côté jardinier à mi-temps mais aussi agent de liaison dans la région de Sarlat”, se rappelle-t-il. “Mais sur les 6 millions de massacrés, 2 millions avaient moins de 10 ans. Je n’ai jamais cessé de penser à quel point le monde d’aujourd’hui a perdu quelque chose d’extraordinaire en perdant tous ces jeunes adultes en devenir. J’ai la conviction que l’humanité a alors perdu quelque chose de sacré.”

Expo musée Michelet famille Griska4“Après la guerre, nous sommes retournés avec ma femme à l’appartement que nous habitions avec ma famille à l’époque de la tragédie mais il n’y avait ni lumière, ni poignet, ni robinet, etc. Le pillage était total. Il a fallu repartir de zéro et reconstruire une existence. C’était capital pour nous de fonder un foyer, de reconstruire ce qu’on avait détruit. Les Gruska devaient disparaître et pourtant nous avons eu deux enfants. On a reconstitué quelque chose qui aura une suite et je souhaite que tout cela continue dans la dispersion.”

“Une famille juive dans la tourmente. De Strasbourg à Périgueux, 1939-1944”. Jusqu’au 11 juin. Infos: 05.55.74.06.08.

Jennifer BRESSAN

Jennifer BRESSAN

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