“L’aide européenne représente le tiers de notre approvisionnement et elle baissera l’an prochain de 80%“, s’alarme Alain Seugé, le président de la fédération française des banques alimentaires en visite à Brive. Même inquiétude du côté du Secours populaire. Et ce alors même, soulignent les deux associations caritatives, que les bénéficiaires sont en augmentation, que les locaux deviennent encore plus exigus et les contraintes réglementaires toujours plus élevées…
Dans leur local du Rocher coupé, les bénévoles de la Banque alimentaire de la Corrèze n’ont rien perdu de leur motivation et préparent les expéditions de denrées qui seront redistribuées aux plus démunis par les associations ou centres communaux. Le sourire est de mise, mais l’inquiétude est sous-jacente et la venue du président national offre une excellente occasion de la rendre publique. Le plus gros nuage qui assombrit l’horizon annonce la baisse flagrante, à hauteur de 80%, de l’aide européenne dès 2012. Alain Seugè soulève un pack de conserves puis de briques de soupes: “Elles proviennent de l’aide européenne… Qu’adviendra-t-il sans cet apport?”, s’interroge-t-il, parlant même, comme le président de la commission européenne José Manuel Barroso, de “scandale”.
Pour expliquer cette réduction, un petit rappel est nécessaire. En 1987, le PEAD (Programme européen d’aide alimentaire) a été mis en place en ayant recours aux excédents agricoles engendrés par la PAC. Celle-ci évoluant, les stocks d’intervention ont diminué et, pour compenser, le PEAD a attribué aux Etats des aides financières directes. Un système que l’Allemagne a dénoncé en déposant plainte devant la cour européenne de justice qui lui a donné raison: le PEAD ne peut puiser que dans les surplus. Une nouvelle réglementation prévoyant les financements directs a été élaborée mais sept pays s’y opposent toujours: l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Suède, les Pays-bas, le Danemark, l’Autriche et la Tchéquie.
“Il faut déverrouiller cette minorité de blocage – il suffit qu’un gros pays ou deux petits adhèrent – et exiger que le PEAD soit la priorité des priorités à la table des négociations européennes. D’autant que la pauvreté ne cesse d’augmenter en France.” Son homologue du Secours populaire, Michel Bilski, opine du chef: “Pour nous, cette aide européenne représente 60% de l’alimentaire. Nous enregistrons entre 15 et 20% de bénéficiaires de plus que l’an dernier: il y a des familles monoparentales, des retraités, des jeunes… même des ingénieurs.”
A cette remise en cause de l’aide européenne, ils ajoutent une liste accablante: la baisse des subventions nationales, l’augmentation des produits, la spéculation sur les produits de première nécessité, la multiplication du travail précaire… “Il y a de la violence qui se prépare”, préviennent les bénévoles. “Notre rôle est d’alerter les pouvoirs publics et de dénoncer cette misère qui touche même des gens qui travaillent, et de plus en plus. Surtout, il faut arrêter de véhiculer cette image du “pauvre parce qu’il le veut bien”. C’est méconnaître la réalité: une grosse majorité d’entre eux a du travail ou a travaillé toute la vie, mais à la fin du mois, lorsqu’ils font le compte des dépenses, l’addition ne passe pas!”
L’an dernier, la Banque alimentaire de la Corrèze a distribué quelque 219 tonnes de produits, aidant ainsi à travers les divers réseaux 2.500 familles soit 7.500 personnes. Pour les seuls 5 premiers mois de 2011, 108 tonnes ont déjà été distribuées. Face à cette augmentation des besoins, les locaux deviennent trop exigus et inadaptés. Le matin même, les responsables des deux associations ont d’ailleurs rencontré l’adjoint au maire Michel Da Cunha pour évoquer un possible emménagement dans un lieu propice à leur mission, vraisemblablement les anciens locaux OCP à Malemort. “C’est un démarrage. Le dossier est complexe. Il faut trouver le financement , environ 1 million d’euros pour l’achat et l’aménagement”, explique Alain Seugè. Chacune y disposerait de 1.100m2. “Ce serait un embryon de cité de la solidarité”, rêve le président de la Banque alimentaire de la Corrèze. “Cela nous permettrait de travailler ensemble, chacun dans nos spécificités mais avec un objectif commun: aider les plus démunis.” Une question de dignité.