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« Ce n’est pas parce qu’ils sont nombreux à avoir tort qu’ils ont raison »

Mercredi soir dernier s’est déroulée dans l’amphi de la faculté de droit de Brive, au Campus universitaire, la finale du concours d’éloquence organisé par la corporation de droit et le service Enseignement supérieur de la Ville de Brive.

Deux candidats, étudiants en droit, se sont affrontés devant un public venu nombreux. Alicia Gouygou, 19 ans, étudiante en deuxième année, et Noah Pagégie, 22 ans, en troisième année, devaient convaincre le public mais aussi le jury en argumentant sur cette célèbre et fine phrase de Coluche, « Ce n’est pas parce qu’ils sont nombreux à avoir tort qu’ils ont raison. »

Alicia et Noah n’ont eu que quelques jours pour préparer ce sujet digne d’une épreuve du concours d’entrée à l’ENA et 10 minutes pour persuader les trois jurés, Daniel Kuri, professeur de droit commercial, Florian Villalonga, docteur en droit, enseignant en droit du travail et Marie Bourlois, responsable des bibliothèques universitaires de Corrèze.

Alicia Gouygou, plus subtile dans son argumentaire, plus à l’aise face à ses notes, plus théâtrale, a convaincu le jury et devrait se rendre à Metz où un concours national d’éloquence va se tenir.

Cette phrase « Ce n’est pas parce qu’ils sont nombreux à avoir tort qu’ils ont raison » renvoie directement à la question suivante : La majorité peut-elle avoir tort ? Coluche semble l’insinuer. L’humoriste, candidat à la présidentielle de 1981, faisait-il allusion à la peine de mort, finalement abolit quelques mois après l’élection de François Mitterrand, grâce aux puissants arguments d’un seul homme, Robert Badinter, alors ministre de la Justice, face à une opinion publique largement contre et un Parlement qu’il fallait convaincre ? Peut-être.

Les deux étudiants n’ont pas, lors de leurs deux argumentaires, évoqué cette question qui encore aujourd’hui pourtant agite notre société. Robert Badinter, décédé récemment, avait sans doute raison. Il était seul, isolé.

Alicia et Noah sont presque partis du même exemple pour étayer leur plaidoyer. Galilée. Seul contre tous, le savant du XVIIe siècle a démontré et confirmé que la terre était ronde et non plate comme il était affirmé à l’époque. L’argument imparable, n’est pas sujet à contestation aujourd’hui sauf par quelques platistes hallucinés.

De là, leurs plaidoyers évoluent différemment.

Alicia plus nuancée dans son développement semble dresser une sorte d’échelle distinguant la vérité absolue, incontestable, vérifiée scientifiquement (la terre est ronde), « il est vrai que le nombre qui a tort (…) ne peut changer certaines vérités qui sont immuables, qui sont objectives » et l’opinion qui appartient à l’individu au nom de sa liberté de conscience.  J’ai le droit de penser que la terre est plate.

 

Alicia introduit une subtilité dans son raisonnement. « Autant les individus peuvent avoir tort sur des idées qui ne sont pas très dangereuses, autant le consensus peut faire véritablement peur ». Je pense ce que je veux tant que je n’essaie pas de convaincre ceux qui pensent qu’elle est ronde car cette vérité est absolue. La jeune étudiante se raccroche aux nombreux exemples actuels où une minorité bien servie par les réseaux sociaux souhaite imposer sa vision des choses. Encore fait-il imaginer que ces pensées regroupent une majorité d’individus. Ce qui n’est très certainement pas le cas.

Pour Alicia, il faudrait donc prendre en considération les opinions minoritaires susceptibles de faire évoluer les choses, le droit, la science mais bien prendre soin que ces mêmes idées ne soient pas dangereuses. La jeune étudiante fait aussi allusion à la rumeur, qui souvent émane d’une certaine quantité de personnes, et créé des jugements erronés, tronqués sur un individu. Le fameux « il parait que… ». Cette masse dressant le portrait d’un individu sans le connaitre véritablement ne peut se substituer au jugement des personnes plus intimes et moins nombreuses qui le connaissent.

 

Noah, quant à lui, a choisi de soutenir bec et ongles la pensée de Coluche. Bien qu’essayant de soutenir que la vérité est souvent une question de perspective, l’étudiant est resté plus proche du sens premier de la phrase de Coluche qui semble dire que la majorité à tort ou se trompe, citant de nombreux exemples dans lesquels une personne a défendu une idée soutenue par une minorité. Rosa Parks, Simone Veil ou Malala Yousafzai, prix Nobel de la paix. Son argumentaire moins nuancé que celui d’Alicia a sans doute laissé le jury sur sa faim.

Quoi qu’il en soit ce duel d’éloquence a été un fantastique entrainement pour les deux étudiants dans la perspective de leur carrière de juriste. « Ce n’est pas parce qu’ils sont nombreux à avoir tort qu’ils ont raison » nous pousse à nous interroger, un bel exercice pour tous.

 

 

Julien Allain, Photos : Fatima Kaabouch

Julien Allain, Photos : Fatima Kaabouch

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