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Antoine Compagnon éclaire Baudelaire

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Invité exceptionnel de la Foire du livre, Antoine Compagnon, historien de la littérature et écrivain, a offert ce matin salle Gazeau, de rentrer en intimité avec Baudelaire, perçant à jour certaines des ambivalences du poète et particulièrement son rapport ambigu à la modernité.

Baudelaire fdl 2Tout à la fois érudit et accessible, Antoine Compagnon, professeur au Collège de France et à l’Université de Columbia, a proposé une rencontre lumineuse sur Baudelaire, poète à qui il consacre son dernier ouvrage, paru chez Flammarion, Baudelaire, l’irréductible.

“Il est un antimoderne”, a commencé Antoine Compagnon, sans que son affirmation résonne comme une critique, au contraire. “C’est Baudelaire qui a inventé la notion de modernité vers 1850. Pour lui, c’est la mort. Elle découle de ce phénomène nouveau qu’est la mode qui, chaque année doit changer. Lui a résisté à cette destruction créatrice.”

Baudelaire fdl 3“Sans être réactionnaire, les antimodernes ont conscience qu’on ne retournera pas en arrière, ils résistent à la modernité tout en s’y engageant.” Là est leur paradoxe, là est aussi celui de Baudelaire qui, comme l’a pointé Antoine Compagnon, est contemporain des inventions fondamentales de la modernité: la grande presse, la photographie et la ville notamment. Entre la fascination et le rejet, toujours, le cœur du poète va balancer.

La presse d’abord, inventée en 1836, est pour le poète un “tissu d’horreurs”, qui ne lui inspire que du “dégoût”. Baudelaire la conchie en même temps qu’elle le fait vivre. Il a beau la considérer comme le “miroir parfait de la sottise humaine, de la vox populi vox dei”, il y publie certains de ses feuilletons et même certains de ses poèmes, notamment ceux des Fleurs du mal. Mieux, son style s’en imprègne, entre un grand classicisme, digne de la pureté racinienne, et le style journalistique.

Baudelaire fdl 4Autre invention qu’il a vu naître, celle de la photographie. Il avait 18 ans lorsqu’a été inventé le premier daguerréotype, rappelle Antoine Compagnon. Quand, 10 ans plus tard, la photographie devient cet art populaire et démocratique, “Baudelaire se hérisse et le juge trop prosaïque, lui reproche de montrer le réel sans l’idéaliser.” Favorable au romantisme, Delacroix est son idole, il rejette le réalisme de Courbet dont il est pourtant très proche.  “Vous êtes le premier dans la décrépitude de votre art”, jettera-t-il, même, à la face de Manet. Imaginait-il un seul instant que Delacroix, qu’il admire, s’est servi de photographies pour peindre ses modèles?, pointe Antoine Compagnon. De même, celui qui parle de la photo comme d’un “nouveau dieu qui tue l’imagination” qui est, pour lui, “la reine des facultés”, est aussi le poète parmi les plus photographiés de son siècle. C’est que le dandy savait poser…

Baudelaire fdl 5Autre grande invention, face à laquelle il demeure ambivalent, c’est la ville moderne avec son éclairage au gaz, ses omnibus, kiosques à journaux et urinoirs, ses grands cafés et ses terrasses… “Je t’aime, ô capitale infâme!” dira-t-il d’elle. Tandis qu’Hugo la décrit méticuleusement en pointant ses fresques, ses monuments, Baudelaire reste plus circonspect. “C’est qu’Hugo est en exil. ll parle d’autant mieux de la ville qu’il est en train de l’imaginer”, décrypte Antoine Compagnon. “Baudelaire, lui, y vit, il rapporte son expérience de la violence urbaine et s’intéresse à la déperdition de l’identité dans la ville moderne. Abominable et sublime, la ville est aussi pour lui “un espace de jouissance avec la foule dans laquelle se couler, comme on se baigne dans la mer.”

On l’aura compris, avec Baudelaire, on n’est pas à une contradiction près! Voilà qui rend le poète profondément humain, une humanité que l’érudition d’Antoine Compagnon rend passionnante. “Les antimodernes sont, à mon sens, les vrais modernes, ceux qui ne se sont pas laissés aveugler par le mouvement, ceux qui ont eu conscience que tout progrès invite regret, ceux encore qui ont été lucides sur le coût de la modernité.

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Jennifer BRESSAN

Jennifer BRESSAN

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