C’est une très belle exposition qui se prépare au musée Michelet. Elle rend hommage à Adolfo Kaminsky. On connait le faussaire de génie, résistant dès l’adolescence, puis au service de nombreuses causes. Moins le photographe tout aussi talentueux. Rendez-vous lundi prochain 28 novembre pour l’inauguration à 18h et le lendemain avec sa fille Sarah Kaminsky qui lui a consacré un livre. Au fil de l’exposition jusqu’en mai, le musée propose aussi chaque mois une visite guidée et un atelier fabrication de faux papiers.
Adolfo Kaminsky a consacré trente ans de son existence à produire des faux papiers. Sans être payé. Cet homme de l’ombre a fait de la clandestinité, du mensonge et de la dissimulation, des outils efficaces pour résister. C’est pendant la Seconde Guerre mondiale qu’Adolfo Kaminsky, juif d’origine argentine, découvre la photographie en reproduisant des tampons pour fabriquer des cartes d’identité.
Avec les faux papiers qu’il a fabriqué, il a sauvé des milliers de vies, celles d’abord de Juifs fuyants les rafles nazies et plus tard celles des indépendantistes algériens, des révolutionnaires d’Amérique du Sud, des représentants des mouvements de libération du Tiers-Monde, des opposants aux dictatures de l’Espagne, du Portugal et de la Grèce, des jeunes américains refusant de servir au Vietnam… Un art de la tromperie que ce féroce défenseur de la paix et de la liberté a mis au service de nombreuses causes à travers les continents. Resté fidèle à ses conceptions humanistes, il refusera toute collaboration avec les groupes violents qui émergent en Europe dans les années 1970. L’exposition présente dans une vitrine des faux papiers qu’il a fabriqués, des outils qu’ils a utilisé.
Adolfo Kaminsky a aujourd’hui 97 ans. Il n’a plus la force de résister mais il s’est confié à sa fille Sarah qui, à partir de ces confidences, a écrit un très bel ouvrage paru aux éditions Calamn Lévy. Elle sera présente pour l’inauguration de l’exposition le 28 novembre à 18h et animera le lendemain une conférence signatures à la médiathèque.
Le musée Michelet vous invite surtout à découvrir l’autre versant du personnage, le photographe, grâce à cette exposition itinérante conçue par le Musée d’art et d’histoire du judaïsme de Paris. À travers 70 clichés, elle rend hommage à une œuvre photographique remarquable, mais restée ignorée en raison des engagements et de l’existence pour partie clandestine de son auteur.
Parcourant Paris au lendemain de la Seconde Guerre mondiale avec son Rolleiflex, Adolfo Kaminsky réalise des images à l’esthétique humaniste proche de maîtres tels Willy Ronis, et qui ne sont pas sans lien avec son histoire personnelle. C’est la ville nocturne et déserte qu’il photographie, hantée par quelques couples d’amoureux, ou traversée par les annonces tapageuses des néons à Pigalle ; à la fois paisibles et porteurs de menaces, ces clichés évoquent le monde clandestin qui fut le sien en 1944.
Les nombreuses vues de marchés aux puces nous renvoient aussi à son univers. Celui qu’on surnommait « le technicien » a toujours fait preuve d’une ingéniosité hors norme, d’un exceptionnel talent de bricoleur, au sens le plus noble. Il y a aussi ces portraits d’hommes barbus rappelant un souvenir douloureux. Alors qu’il était interné au camp de Drancy, il avait sympathisé avec un couple d’âge mur dont le mari portait une belle barbe bien taillée. Rasé avant sa déportation, l’homme avait par son regard éteint frappé le jeune homme : avec sa barbe, on lui avait retiré sa dignité. Sur ces portraits, la pilosité exprime la personnalité, tout autant que l’environnement immédiat, comme les livres et les chats de ce libraire.
Les images de Kaminsky sont d’abord celles d’un observateur attentif de la rue et du monde du travail, figeant des scènes insolites au charme indéfinissable. Des religieuses lisant au soleil au bord de la Seine ; un jeune homme bien mis, absorbé par son journal, mais assis avec trop de retenue sur un anneau d’amarrage ; des éclusiers sur le canal Saint-Martin…
Le sens de l’observation est évidemment une qualité première pour celui dont les activités interdites menacent en permanence la liberté. Mais Kaminsky, qui a pratiqué le dessin et la peinture dès son plus jeune âge, possède un regard aigu et une grande maîtrise constructive dans ses photographies. Plus tardives, ses vues d’usines évoquent l’art cinétique de ses amis latino-américains ; et alors qu’il est libéré de tout engagement politique dans les années 1970, il offre de la région d’Adrar, aux portes du désert dans le grand Sud algérien, une vision contemplative et picturale. Une exposition à voir, absolument.
Pour aller plus loin: The Forger, superbe documentaire qui mêle interviews et reconstitutions de scènes en théâtre d’ombres à visionner en suivant ce lien https://www.youtube.com/watch?v=Dup6KOoaAUc&t=435s.
Infos au 05.55.74.06.08.