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« A sa place qu’aurais-je fait ? »

Demain à Brive, à 18 heures, sera rendu hommage à un des héros Français de la Résistance. Au bas de la rue qui porte son nom une cérémonie honorant Raymond Farro se teindra. Arrêté à Brive le 20 mars 1944, Raymond Farro, chef régional de l’Armée secrète du mouvement Combat, responsable de la Résistance au sein d’un vaste territoire qui englobait le Limousin, sera fusillé le 2 avril à Tulle, 80 ans jour pour jour, après avoir été battu, torturé. Pour éviter qu’il ne s’échappe une nouvelle fois, ses bourreaux lui ont même coupé les tendons des mollets. Il avait 35 ans.

« Le Jean Moulin corrézien »

Nous avons rencontré son fils Jean Farro qui vit à Brive. Jean est né en octobre 1944, quelques mois après l’exécution de son père. La douleur est toujours aussi tenace malgré le temps écoulé qui a fait sensiblement son œuvre, la fierté du fils pour son père comble un tant soit peu ce sentiment.

« Le devoir de mémoire doit se transmettre », n’est pas une formule superflue pour Jean. L’Histoire est (malheureusement) un éternel recommencement dit-on, l’actualité internationale nous le rappelle froidement. « A sa place qu’aurais-je fait ? », se questionne sans cesse Jean Farro et nous interroge également.

A Brive la rue lieutenant-colonel Farro est bien connue et très fréquentée. C’est une artère commerciale majeure de la ville. Pourtant et bien qu’une plaque honorant le souvenir du résistant soit apposée en bas de l’artère au niveau de la place Latreille, peu de Brivistes connaissent l’histoire du lieutenant-colonel Raymond Farro, surnommé par François David, président du Comité de Brive de la Société des membres de la Légion d’honneur, « le Jean Moulin corrézien »*. La comparaison méritée, témoigne de l’importance du rôle de Raymond Farro au sein de la Résistance française et locale.

« N’ayant pas connu mon père, ma mère était enceinte de moi lorsqu’il a été exécuté, c’est à travers les témoignages de ma famille, de mes proches mais aussi des hommes et des femmes l’ayant connu ou ayant servi sous ses ordres que j’ai bâti mon souvenir. » Un souvenir bien réel, rempli d’une vive émotion.

« Je garde encore en moi cette profonde douleur d’imaginer ce qu’il a enduré »

Raymond Farro est né à Alger, Saint-Cyrien affecté au 126e RI d’Infanterie à Brive, il est dès le début de la Seconde guerre mondiale, cité à l’ordre du régiment pour son courage. Mais Raymond est juif, peu importe ses actions et son engagement pour son pays, il sera exclu de l’armée par les lois raciales du 3 octobre 1940 de Vichy. Dès lors, le militaire va rejoindre une lutte qu’il trouve juste. Ce sera la Résistance pour défendre la France et ses idéaux. « Repéré et contacté par Edmond Michelet, il devient responsable régional de l’Armée secrète de Combat de la Région 5 qui regroupe huit départements dont la Corrèze. » Il a en charge d’organiser et de coordonner la Résistance sur ce territoire.

Recherché inlassablement par l’armée allemande et ses collaborateurs, et après avoir plusieurs fois échappé à leurs mains, Raymond Farro sera définitivement arrêté à Brive, le 20 mars 1944, probablement dénoncé, rue de Puyblanc, aujourd’hui et depuis 1944, rue du lieutenant-colonel Farro, alors qu’il rendait visite à son épouse enceinte de Jean et à sa fille Collette.

La maison de la famille Farro à l’époque. Raymond Farro sera arrêté alors qu’il rendait visite à son épouse.

Battu, torturé, ses bourreaux lui couperont les tendons des mollets pour éviter qu’il ne s’enfuie encore une fois. Malgré l’ignominie, il ne dénoncera jamais ses hommes ni ne trahira le mouvement de la Résistance. Les Allemands finiront par le fusiller sans autre forme de procès le 2 avril 1944 à Tulle. « Je garde encore en moi cette profonde douleur d’imaginer ce qu’il a enduré. Même encore aujourd’hui cela ne s’efface pas. Il avait 35 ans et la vie devant lui ». La mort de Raymond Farro est en effet aussi et surtout un drame familial. Le résistant laisse derrière lui sa femme, Paulette et ses deux enfants. Collette et Jean. « Ma mère ne s’est jamais remise de sa mort. » Jean jamais non plus vraiment. La vie sans un père n’a pas été facile pour la famille Farro.

« Il est un modèle pour moi »

Pour panser cette plaie indélébile, Jean se rattache à l’immense fierté qu’il éprouve pour son père. « Fierté pour son action faite de courage, de résistance au service de son pays, pour la liberté. Fierté aussi car il a résisté à la torture pour ne pas dénoncer ses camarades qui étaient confiants car ils savaient qu’il ne parlerait pas quoi qu’il arrive. Fierté encore car il a reçu le plus beau des hommages, celui de l’amour et de l’admiration de ses hommes. »

Il s’accroche également à l’idée que son père n’est pas mort pour rien. Son engagement perdure, les valeurs défendues par son par père sont profondément ancrées chez Jean. Résistance, liberté, justice et pardon. « Il est un modèle pour moi. »

« Je n’en veux pas aux Allemands. L’être humain peut être bon ou odieux, cela dépend du contexte. Il faut donc créer les bons contextes pour que ces choses-là ne se réitèrent pas. La guerre est haïssable. La mort est banalisée. Faire vivre ces témoignages, ces exemples sont d’autant plus nécessaires qu’aujourd’hui la paix est de plus en plus menacée et que l’on assiste à une véritable inversion des valeurs. Individualisme, matérialisme et l’argent sont devenus les maîtres du monde. Il est important de remettre au goût du jour les notions de courage, de résistance, de probité et de désintéressement. » Des valeurs prônées et mises en pratique par Raymond Farro tout au long de sa trop courte vie.

La mémoire de Raymond Farro se transmet et se poursuit à travers ses deux enfants, Jean et Colette, mais aussi à travers ses petits-enfants, Pascal et Marie et ses nombreux petits-enfants. Pascal qui vit comme son père à Brive et que nous avons pu contacter se dit « fier de l’héritage de son grand-père. D’autant plus fier qu’il s’agit d’un héritage de valeurs, de principes. »

L’engagement de Raymond Farro nous pousse à l’admiration et au questionnement. A sa place qu’aurions-nous fait ?

 

Cérémonie en mémoire du lieutenant-colonel Raymond Farro, organisée par le Souvenir Français avec le soutien de la Ville de Brive, mercredi 3 avril 2024 à 18h00, place Latreille.

 

*Article paru en mars 1994.

Julien Allain, Photos : Fatima Kaabouch

Julien Allain, Photos : Fatima Kaabouch

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