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Marcel Conche: "Pour Jean d'Ormesson, je suis un insensé et j'irai en enfer!"

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Le grand philosophe athée et corrézien Marcel Conche honore pour la première fois de sa présence la Foire du livre de Brive. A l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage, Epicure en Corrèze (Stock), il y sera présent vendredi à 15h (espace Alain Gazeau), à la faveur d’un échange très attendu avec Jean d’Ormesson. Sur leur rencontre à venir, le spécialiste de métaphysique a bien voulu livrer son sentiment depuis la maison familiale d’Altillac où il est retourné vivre.

1Entre le lundi et le mardi, le philosophe a préféré, pour notre rendez-vous, la première option car ça lui “laisse plus de chance d’être toujours en vie”, ainsi que le début d’après-midi pour que son interlocuteur ait le ventre plein. Pour digérer les considérations que l’homme médite depuis huit décennies, il convient effectivement de se trouver dans les meilleures dispositions possibles. De son côté, outre sa vue qui baisse et l’oblige à ne “lire que ce qui est nécessaire”, le spécialiste de métaphysique, né en 1922 à Altillac, apparaît en forme; et  si, dans ses propos, il multiplie les digressions, comme les nombreux chats qu’il nourrit (“aucun ne m’appartient, mais tous pensent que je suis à eux”), il retombe toujours sur ses pieds.

detail nb“J’ai lu le dernier livre de Jean d’Ormesson pour préparer la rencontre de vendredi, ainsi que quelques ouvrages de physique pour voir si ce qu’il écrivait correspondait bien aux thèses actuelles”, commence Marcel Conche, installé sur un fauteuil de sa salle à manger, dans la maison familiale d’Altillac qu’il est revenu habiter après des années à Treffort, dans l’Ain, et une escapade en Corse. “Mais il est inattaquable sur ce terrain puisque le mot roman apparaît sur la couverture de son livre…”

Il n’est de toute façon pas question pour ce pacifiste d’attaquer. Pourtant, bien des thèses opposent les deux hommes qui ont préparé ensemble l’agrégation de philosophie. “Dans son dernier livre (Comme un chant d’espérance, Héloïse d’Ormesson), Jean d’Ormesson dit qu’il croit en Dieu. Moi je suis sûr qu’il n’existe pas. Mon argument n’est pas nouveau, il a déjà été avancé par Saint Augustin : c’est la souffrance des enfants, un mal absolument injustifiable, puisqu’ils sont innocents. C’est la preuve que Dieu n’existe pas, c’est une certitude. J’en mets ma main au feu !”

Ainsi, à l’origine du monde pour Marcel Conche, il n’y a pas Dieu mais la nature infinie, la phusis grecque: “L’homme n’est pas une créature de Dieu mais de la Nature. Comme la nature ne crée rien de mauvais – même si elle peut s’avérer cruelle, l’homme ne peut qu’être bon. L’homme naît bon. Il n’y a qu’à concevoir les premiers d’entre eux qui vivaient en groupe et en paix. La guerre est venue car les hommes ont eu la malchance de vivre sur une planète où il n’y a pas assez de tout pour tous.”

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De cette philosophie, Marcel Conche tire sa manière d’être au monde. Partisan de la décroissance, il a choisi la simplicité pour compagne dans la maison de sa mère où il a passé ses premières années: “Je vis seul. De temps en temps, je vais à Beaulieu avec ma Clio pour me procurer les produits nécessaires. Je me lève à 4h du matin, donne à manger aux nombreux chats; je prends ensuite mon petit déjeuner: du café, pain et miel, jamais de confiture. Puis je me mets au travail. Je fais une promenade dans la campagne en début d’après midi, j’écoute les infos sur France Inter en fin de journée. Puis je dîne à 18h et me couche à 19h.” Presque monacal.

Depuis 80 ans que sur le métier il remet sans cesse son ouvrage, n’a-t-il jamais eu l’envie d’envoyer tout valser ? “J’ai un point faible. Je suis très sensible au charme féminin. Si je n’avais pas eu à côté de moi, me surveillant, une maîtresse intransigeante, la philosophie, j’aurais certainement bien des fois privilégié de m’amuser.” Ce que ce docteur ès lettres, fils d’un modeste cultivateur corrézien, n’a pas fait. Il a écrit une multitude d’ouvrages sur de nombreuses questions de  métaphysique; et il continue encore d’en écrire. “Le prochain s’intitule Ultime réflexion et celui que je suis en train d’écrire Dernière pensée. Ça me fait penser que je vais être embêté pour trouver le titre de celui qui viendra après ceux-là !” Quant aux infidélités métaphysiques, non, il n’a jamais été tenté: “Il n’est pas d’autre vie que la philosophie pour moi. Quand je ne suis pas en train de me poser des questions, de m’interroger sur l’abîme entre indéfini et infini, je m’ennuie.”

marcel conche nbDans un monde rêvé, il aurait été un grand mathématicien pour comprendre la philosophie de la nature qui est complètement pénétrée par les mathématiques. Il aurait aussi aimé pouvoir dialoguer avec Montaigne, “pas Spinoza, avec lui, on ne peut pas parler !”; Kant, “ça n’en vaut pas la peine!”, Platon mais “juste pour admirer la façon dont il m’aurait dominé”. Avec Epicure, “on se serait très bien compris”. En ira-t-il de même  vendredi ? “Pour Jean d’Ormesson, celui qui avance que Dieu n’existe pas est un insensé et les méchants vont en enfer. Je suis donc un insensé et en tant que tel,  j’irai probablement en enfer…  Mais, comme il est quelqu’un de plutôt gentil, son enfer ne doit pas être bien méchant !”

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Jennifer BRESSAN

Jennifer BRESSAN

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