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Ma vie avant le déconfinement : portraits croisés de restaurateurs (24)

L’un tient une institution avenue de Paris, l’autre vient de s’installer en cœur de ville. Francis Tessandier et Anthony Filipe, propriétaires de Chez Francis et du Chat noir se sont tous les deux lancés dans la vente à emporter. Ils livrent ici leurs craintes et leurs espoirs.

« A l’annonce de l’obligation de fermeture, ça a été la grosse déprime », commence Francis Tessandier. « Nous annoncer à 20h qu’on devait fermer à minuit, c’était quand même assez brutal. » Puis plus rien. Rien d’autre que le vide dans la salle de restaurant peu accoutumée à tant de silence. Les dessins sur les murs, trace du passage de tant d’hommes et de femmes célèbres, ne font plus rire personne. Difficile pour le restaurateur de rester les bras croisés. Alors, passée la course aux aides, il s’est lancé dans la vente de plats à emporter. « C’est nouveau pour moi, je ne fais pas traiteur d’habitude ».

Mais à situation exceptionnelle, solutions exceptionnelles. Et même seul, puisque son fils qui travaille d’habitude avec lui est en chômage partiel, il redécouvre le plaisir de cuisiner. « On propose une petite carte : trois entrées, trois plats, trois desserts qui changent toutes les semaines. Elle est déclinée principalement autour de produits locaux, régionaux, dans l’esprit de ce que l’on a l’habitude de faire et à des prix raisonnables. » Il faut passer la commande la veille et on peut venir la récupérer le matin suivant, jusqu’à 13h.

« La clientèle habituelle répond présent », se réconforte le restaurateur qui espère que l’audience puisse grossir grâce aux réseaux sociaux. « Pour le lancement, on a aussi pu bénéficier du week-end du 1er mai, c’était un peu fête. » Les gens semblent avoir eu envie de se changer les idées, de retrouver goût aux bonnes choses.

Quant à demain, c’est toujours l’inconnu. « On ne sait pas comment envisager la suite. Il n’y a pas moyen d’avoir des dates et des conditions de reprise précises. Fin mai, début juin peut-être ? Il nous faut quand même un peu de temps pour nous organiser », pointe-t-il en comprenant la difficulté pour le gouvernement de se projeter à long terme. « S’il faut dresser une table sur trois, on le fera, je suis disposé à mettre en place tout ce qu’on nous demandera tant qu’on rouvre. »

Mais au bon moment. « A nous de nous organiser pour éviter au maximum les risques, pour éviter tout rebond car là, ce serait vraiment catastrophique. » Mais il veut jouer la carte de l’optimisme. Pas l’optimisme béat qui voudrait croire que les gens aient tous envie de ressortir tout de suite et sans peur ; mais il se prend à rêver à de belles soirées d’été en terrasse conscient que dans le malheur, il est chanceux car installé depuis de nombreuses années. Alors il pense aux jeunes, à ceux qui voudraient se lancer, ceux qui venaient de se lancer.

C’est le cas d’Anthony Filipe et Kevin Menuet avec Le chat noir… « Si on ne devait pouvoir rouvrir qu’après la fin juin, on aurait passé plus de temps fermé qu’ouvert », compte Anthony Filipe. Un calendrier vertigineux. Lui aussi raconte la brutalité de la fermeture annoncée quatre heures avant sa mise en application, la distribution des produits pour sauver au maximum les stocks, les procédures administratives, l’attention portée aux déclarations de l’exécutif mais aussi la revisite de la carte d’été car les semaines passant, les produits d’hiver proposés au moment du confinement sont passés de saison, l’attente encore, l’attente toujours et les calculs. Chiffre d’affaires, dépenses, rentabilité, chômage partiel, gestion des stocks, sécurité sanitaire…

Les hypothèses, les scénarii ont tourné en boucle dans leur tête jusqu’à ce qu’émerge le meilleur compromis qu’ils aient pu trouver : la vente à emporter avec la mise en place d’un système de click and collect. Ils ont décidé de tout miser sur un produit, le burger, en nombre limité à 100 et de concentrer l’activité sur une journée, le samedi, et deux services, le midi et le soir. Les 100 premiers burgers, réservés sur les réseaux sociaux, sont partis comme des petits pains le week-end dernier. En 36 heures, c’était plié. « Dans notre malheur, on a réussi à atteindre nos objectifs. On a lancé ça sans savoir où on allait. » L’engouement suscité par leur initiative les a reboostés.

Une fois la réservation effectuée, les clients se voient attribuer un créneau horaire pour venir chercher leur commande, entre 11h30 et 14h pour le midi et entre 18h et 21h le soir. Avec des passages toutes les 5 ou 10 minutes, c’est le moyen pour eux de gérer les flux et d’éviter qu’une file d’attente, ennemie de la distanciation sociale, ne se constitue. « C’est la meilleure solution qu’on ait trouvée. On fait ce qu’on peut, ce qu’on sait faire. »

En effet, la vente à emporter ne leur était pas tout à fait étranger. « Avant, on avait un food truck. On est habitué à proposer du service éclair » ; et, si le burger n’était pas l’élément principal de leur carte au Chat noir, ils l’avaient intégré dans leur restauration. « Ce service à emporter, c’était déjà quelque chose qu’on maitrisait et qu’on voulait mettre en place. » La crise actuelle aura participé à accélérer les choses. « On peut s’adapter ». C’est là leur force, leur chance et ils la saisissent à bras le corps.

« On travaille sur la mise en place d’un site de pré commande où le client pourra lui-même choisir les créneaux horaires auxquels il veut venir récupérer sa commande ; on va aussi proposer la livraison des commandes via la plateforme Uber Eats. » Ils espèrent aussi pouvoir augmenter le nombre de burgers proposés mais aussi et surtout élargir leur carte de vente à emporter autour de produits frais, locaux et de saison, comme ils ont l’habitude de le proposer au restaurant.

Ceviche de poisson cru mariné, tartare de tomates, tartines fraicheur, mais aussi desserts (cake, panna cotta) et quelques cocktails… « A nous de trouver les idées qui séduiront nos clients à la maison. » Mais d’ores et déjà, le soutien de nombreux Brivistes les a touchés. « On sent que les gens comprennent notre difficulté, ils voient que nous sommes des petits jeunes, ils nous soutiennent. C’est touchant, et très important pour nous. Ça remotive… »

Jennifer BRESSAN, Photos : Diarmid COURREGES

Jennifer BRESSAN, Photos : Diarmid COURREGES

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