À Gaubre, le premier étage du bâtiment Latreille porte désormais une plaque à son nom. Des six appartements subsistent quelques colonnes porteuses dans un vaste espace redéployé pour les activités du TUCSS (Tujac Culturel Social et Sportif), l’association qu’il copréside et qui, depuis plus de 30 ans, fait œuvre d’intégration sociale bien au-delà des limites du quartier.
Si hommage est ainsi rendu de son vivant à Lucien de Carvalho, c’est que ce militant dans l’âme – « J’ai été syndiqué toute ma vie », se plaît-il à rappeler – aura durablement imprimé un engagement viscéral, comme bénévole, instituteur, directeur d’école et président du TUCSS, des casquettes qui fusionnaient allègrement. Une santé devenue plus fragile n’a pas altéré son indécrottable détermination à vouloir redresser les inégalités sociales, pas plus qu’elle n’a rogné son profond attachement à cette partie ouest de la ville. « J’habite encore à l’école Jules Romains, dans l’ancienne maison du directeur que j’ai achetée. J’ai la marmaille sous la fenêtre. » Un doux bourdonnement pour celui qui a fait la majorité de sa carrière à Brive.
Ce pur produit de la méritocratie républicaine, né le 2 janvier 1944 à Aubazine, n’aura fait qu’un furtif remplacement en région parisienne. « J’avais 20 ans. Je suis parti en pleurant, mais je n’ai pas eu le temps de m’y ennuyer », plaisante-t-il. Trois semaines et le voilà de retour à Brive, à l’école Jules Ferry, grâce à son implication bénévole (déjà) auprès des jeunes du patronage de la Ville et de l’équipe de foot du cercle laïc. Même le service militaire ne peut l’éloigner de sa terre chérie : bien classé, il l’effectue au 126e régiment briviste tout en passant son certificat d’aptitude pédagogique.
« J’ai toujours voulu être instituteur. » Aujourd’hui, on dit plutôt « professeur » des écoles. « J’aime mieux m’appeler instit’. Par respect pour le travail de nos anciens, l’école de la République. » Curieusement, l’instit’ a commencé par s’occuper d’âges ne cadrant plus avec le primaire, des ados qui après leur certificat d’études préparaient des concours ou d’autres, éloignés du parcours scolaire. « Des élèves très attachants, c’était formateur. »
Lucien de Carvalho aura enseigné à Jules Vallès aux tout-petits de CP, à Beaulieu où il aura eu comme élève celle qui deviendra sa coprésidente, Jeannine Roche, son binôme à l’engagement parallèle, à Objat où il a émigré dix ans et surtout à Jules Romains, comme directeur d’école avec les CM2. « Pendant deux septennats, 14 ans », plaisante-t-il avec cette fibre politique toujours à fleur de peau. La dernière année, il s’octroiera juste les CP « pour le bonheur d’avoir ma petite-fille en classe ». C’est aussi à Jules Romains que Lucien de Carvalho ressuscite un TUCSS moribond pour en faire un vecteur d’intégration dispensant, pour une cotisation dérisoire, soutien scolaire, cours d’apprentissage, activités culturelles, sportives, atelier d’informatique, de cuisine, sorties, visites…
À la retraite depuis 2002, « le maire de Tujac », comme on le surnomme (une notoriété qui lui a ouvert nombre de partenariats pour son association), n’a jamais cessé, tout comme Jeannine Roche, elle aussi institutrice à la retraite, d’accompagner les jeunes des quartiers ouest de Brive. Ce travail de fourmi a profité à des générations de jeunes et à leurs familles. « On a très vite compris que, si on n’impliquait pas les adultes, on avancerait moins bien. » Grâce à lui, beaucoup auront trouvé leur chemin de vie. Pas à pas. Où qu’il se déplace, il y a toujours quelqu’un(e) pour venir lui témoigner reconnaissance. Beaucoup de jeunes qu’il a accompagnés hier se sont à leur tour impliqués pour ceux d’aujourd’hui. Un maillage contre les fléaux de l’exclusion et du sectarisme.
« La citoyenneté est l’objectif essentiel de notre action. Travailler sur le vivre-ensemble. Tout passe par l’éducation et le respect de l’autre. À partir de là, tout est possible. » Une implication de l’ombre qui a le spectaculaire du quotidien, faite de tolérance, de patience et d’abnégation. Assurément une belle trajectoire au service des autres que cette citation de Ian Renaud peut abonder : « La qualité de notre vie est directement proportionnelle à l’intensité de nos engagements. »