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Hier soir, 480 personnes ont attendu Godot au théâtre

En attendant GODOT 1pano

Il ne manquait que lui. Godot. La grande salle du théâtre était comble pourtant, depuis fort longtemps, et jusque dans les bergeries. L’attente a duré un peu plus de deux heures, pour rien. Il n’est pas venu. Mais elle n’a pas été vaine pour autant. Dans une mise en scène respectant à la lettre le texte de Beckett mais le revisitant sur fond de migration, la tragi-comédie a réaffirmé, plus de 60 ans après sa création, sa portée universelle.

En attendant GODOT 2“Allons nous-en. On ne peut pas. Pourquoi? On attend Godot. C’est vrai.” Vladimir et Estragon en sont là. Misérables. L’un embarrassé par son chapeau qui le gratte, l’autre par ses chaussures trop petites. Ils attendent. Depuis combien de temps ? Ils ne savent pas. Sont-ils seulement au bon endroit ? Rien n’est mois sûr. Ce qui est certain, toujours, c’est que Godot n’est pas venu. Tout ça pour ça. Tout ça pour rien. 

Il fallait s’en douter. Tout le monde connaît Godot, la pièce de Beckett, probablement l’une des plus jouées au monde. Personne n’ignore, lorsque le rideau se lève sur ce décor invariablement minimaliste, organisé autour d’un arbre que l’on croit mort, qu’il ne viendra jamais.

En attendant GODOT 3Par contre, ce qui a pu surprendre le spectateur hier soir, ce sont les deux rôles principaux tenus par des comédiens ivoiriens Fargass Assandé et Odile Sankara. Les vagabonds de Beckett semblent porter là le poids de l’immigration clandestine sur leurs épaules. La couleur de leur voix, le timbre de leur rire, la portée de leurs gestes ont enrichi la pièce d’une vision de l’errance, lui insufflant une résonance nouvelle.

En attendant GODOT 5Ancrée dans une réalité contemporaine, la pièce n’a rien perdu de sa portée universelle. La mise en scène s’est rigoureusement appuyée sur le texte de Beckett, sans en changer quoi que ce soit. Les mots, les didascalies sont respectés à la lettre, de même que la cadence. Jean-Lambert-Wild, l’un des trois metteurs en scène, et interprète de Lucky, l’a souligné lors de la rencontre organisée à l’issue du spectacle. Il a aussi, au passage, égratigné la fâcheuse et nationale tendance à prendre des libertés avec les textes. Lui a même choisi de pousser le vice (la vertu?) jusqu’à jouer la pièce à la minute près. Quand Beckett l’a mise en scène, en Allemagne, elle durait 2h06. Nous, on fait 2h05!”

Ont-ils là visé le scrupule rien que pour le scrupule? C’est sans doute plus que cela. “Beckett a inventé l’écriture de plateau. C’est démentiel! Le respect à la lettre de sa pièce donne du sens, permet au texte de jouer sa petite musique.” Le plaisir trouvé pour les comédiens, par-delà le gros travail nécessaire à l’incarnation de la pièce, tient dans “l’exécution du morceau qui conduit à une véritable jubilation.”

En attendant GODOT 9Le public lui-aussi semble avoir jubilé. Lui qui a beaucoup ri. Qui n’a pu s’empêcher d’applaudir à l’issue de la performance drolatique de Lucky qui, à la demande de Pozzo, après avoir dansé, est contraint de penser. Le morceau est loufoque, enlevé et servi par un comédien grimé inspiré.

La performance de Vladimir et Estragon a, elle aussi,  été justement soulignée par les deux metteurs en scène et applaudie par le public, qui a été nombreux, à l’issue du spectacle, à rejoindre la petite salle où a été projeté grâce aux Yeux Verts Film que Beckett a écrit en 1965 et dans lequel apparaît, pour la dernière fois Buster Keaton.

Cinéma, théâtre, roman (l’Irlandais qui a choisi d’écrire Godot en français cherche, à travers l’exercice théâtral, à se détourner du “fardeau de la prose” qu’il porte tandis qu’il peine à écrire  son roman Molloy), l’artiste, dramaturge et poète a touché à tout. Mais par-delà les genres, ses obsessions l’ont suivi dont, la première d’entre elle, le temps et son passage. Temps qui n’a pourtant rien changé à l’affaire: son œuvre continue d’apparaître aujourd’hui encore d’une étonnante modernité.

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Jennifer BRESSAN

Jennifer BRESSAN

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