Hier soir, l’écrivain américain était à La Baignoire d’Archimède, face à ses lecteurs… Ou en différé sur France5 dans La Grande librairie. Devinez où l’on était?
C’était une occasion à ne pas manquer: une rencontre en chair et en os et en petit comité (pas plus de 30 personnes) avec celui que l’on qualifie de nouveau Faulkner ou d’héritier de Mc Carthy. Un grand romancier assurément, à la plume plus noire que l’encre, à la langue crue et cruelle. Laurence Guillemot et Élodie Martin, les deux libraires de la rue Farro, avaient organisé cette rencontre autour de son nouveau roman Évasion, une intrigue étouffante parue aux éditions Gallmeister.
Une vingtaine de lecteurs y assistaient, certains déjà fans des deux précédents ouvrages, Pike et Cry Father (également chez Gallmeister), d’autres venus découvrir ce phénomène plein d’humour et au verbe un tantinet vulgaire qui semble incarner les paradoxes d’une Amérique pétrie de contradictions. Casquette vissée sur la tête, une dégaine rugueuse d’ouvrier sortant de chez Ford, Benjamin Whitmer est de ceux qui dénoncent le génocide des Amérindiens et la façon dont son pays enseigne une histoire niant les actes barbares, tout en avouant sans vergogne porter chez lui une arme et en posséder plusieurs. “Toute notre histoire, notre société, sont d’une violence extrême, qu’aucun de mes livres ne pourra atteindre.”
L’auteur parle de son enfance dans l’Ohio, de son enfance dans les bois, de ses enfants, de leur éducation, de la société, des prisons, des minorités, des laissés-pour-compte… Au fil de la soirée, on comprend que Whitmer, c’est pas un tendre, pas le genre de gars à vous raconter une jolie histoire écrite de manière ampoulée. Dans ses romans, aucun des personnages ne s’extrait intact du pétrin dans lequel il les enferme. Évasion est de cette veine et se base sur des faits réels: nous sommes en 1968, le soir du réveillon, douze détenus s’échappent d’une prison au cœur d’une petite ville du Colorado alors que la neige empêche les forçats de s’éloigner de la ville. “Ce n’est pas du polar, c’est du roman noir”, clarifie l’auteur.
Sorti en France en septembre, le livre n’est pas encore paru aux États-Unis. “S’il avait d’abord été publié là-bas, on m’aurait demandé de changer la fin. Les Américains pensent que les livres doivent avoir un happy end avec de gentils personnages, que la violence est justifiée par le but de restaurer l’ordre social, comme une sorte de rédemption… Je n’écris pas sur des licornes. Une part de nos choix sont illusoires et sont déterminés par nos origines sociales”, explique-t-il en parlant avec beaucoup de compassion pour ses personnages aussi dégueulasses qu’attachants et singuliers.
Benjamin Whitmer livre un roman implacablement noir, empreint de cette violence liée à l’existence intrinsèque des armes à feu, dans un pays qui n’a jamais su affronter ses vieux démons. Une lutte pour survivre, entre le bien et le mal, entre le mal et le bien, question de point de vue. À l’image de ce tatouage s’inspirant de Moby Dick que ses manches retroussées laissent apparaître sur un de ses bras…